Sur une lacune de la théorie mimétique, Lucien Scubla

« Sur une lacune de la théorie mimétique : l’absence du politique dans le système girardien« ,

rédigé par l’anthropologue Lucien Scubla,

dans la revue Cités,

en 2013/1, dans son numéro 53.

 

Lucien Scubla, bouc émissaire, théorie mimétique, René Girard

Un article de Lucien Scubla, sur la théorie mimétique de René Girard

Le plan de l’article :

  1. Une absence paradoxale
  2. Du désir triangulaire au désir mimétique
  3. Mécanisme victimaire et morphogenèse
  4. Mécanisme victimaire et méconnaissance
  5. Une théorie girardienne de la démocratie ?

Notons que le texte est suivi d’une série de questions – réponses, question de Charles Ramond et réponses de l’auteur de l’article.

Le texte commence ainsi :

Pour comprendre le statut du politique dans la pensée de René Girard, nous allons tenter de répondre à deux questions solidaires. De montrer pourquoi il n’y a guère de place possible pour le politique, dans la forme dernière qu’il a donnée à sa « théorie mimétique », à savoir le système à trois volets du « désir mimétique », du « mécanisme victimaire » et de la « révélation judéo-chrétienne ». Puis, de déterminer à quelles conditions le noyau dur du système pourrait néanmoins contribuer à une théorie du politique, autrement dit à quels sacrifices et quels amendements la théorie mimétique devrait consentir, pour avoir prise sur tout un pan de la vie sociale que, pour l’heure, elle tend à éluder ou à dissoudre, plutôt qu’à expliquer. Ces deux problèmes, en réalité, n’en font qu’un, la solution du premier entraînant immédiatement celle du second.

Il se termine ainsi :

Si sommaires soient-elles, ces indications montrent que les hypothèses de Girard qui nous avaient semblé les plus solides, dans leur domaine d’origine, pourraient se révéler tout aussi pertinentes pour penser les institutions et les activités politiques. S’il n’en est pas la preuve, ce petit exercice est, au moins, un indice de leur robustesse.

On y trouve notamment :

« Selon Girard, et c’est essentiel pour notre propos, le mimétisme est la source première de tous les conflits qui déchirent et enveniment une communauté, car il fait spontanément converger les désirs des individus ou des groupes sur les mêmes objets. Mais, il a en même temps la vertu de constituer le remède au mal qu’il engendre, dans la mesure où sa capacité à faire spontanément converger la violence sur une même cible, la « victime émissaire », lui permet de réconcilier, pour un temps, dans un acte unanime et cathartique, la collectivité qu’il avait divisée. Sans ce mécanisme d’autorégulation salvateur, le « mécanisme victimaire », les sociétés humaines et, à terme, le genre humain tout entier, entreraient dans une crise mimétique sans issue et finiraient par s’autodétruire [3][3]Voir R. Girard, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972….

On y trouve également :

Deux des plus grands phénomènes politiques du siècle dernier – le communisme et le national-socialisme – sont en même temps deux des plus grands phénomènes religieux. L’un et l’autre ont développé des rituels imposants et similaires, l’un et l’autre, désigné des boucs émissaires : les « ennemis de classe », d’un côté, les « juifs apatrides », de l’autre. Mais, comme il s’agissait, à chaque fois, de tentatives pour constituer de nouveaux empires, il ne faudrait pas conclure trop vite de leur échec à l’usure du mécanisme victimaire. Parmi les causes prépondérantes de leur perte, il y a sans doute une surestimation commune des capacités de la volonté humaine, conduisant à défier les lois de la nature au point de provoquer la misère économique, ou à se lancer à corps perdu dans des guerres de conquête fatalement suicidaires. Or, le mécanisme victimaire ne saurait, à lui seul, enrayer de tels processus d’autodestruction.

On y trouve aussi :

« Par ailleurs, je ne définis pas la médiation externe comme un rapport de domination (de coercition effective ou potentielle), mais comme un rapport d’admiration. Elle consiste à prendre pour modèle un être prestigieux. C’est la définition de Girard. Mais Girard, même dans son premier livre, n’explicite pas assez ce point capital. Lorsqu’il passe du « désir triangulaire »au « désir mimétique », il oublie que l’admiration est antérieure à l’imitation et la commande. À cet égard, il faut revenir à Descartes qui faisait de l’admiration la première des passions. Même chez les singes, des expériences montrent qu’on imite un animal de haut rang et méprise ceux des rangs inférieurs. Cette notion de rang est capitale, mais Girard fait tout pour l’éviter. Dans La Violence et le sacré, il traduit « Degree » par « Différence ». (p. 78-81) Comme Lévi-Strauss, il tend à ramener toutes les relations d’ordre à des oppositions différentielles horizontales. Pourtant, ce qu’il nomme la « crise sacrificielle », c’est justement, dans son principe même, cet aplatissement des différences verticales et hiérarchiques en différences horizontales, qu’il décrit fort bien, mais sans le conceptualiser assez finement. »

Et on y trouve bien sûr d’autres éléments tous plus passionnants les uns que les autres.

Pour avoir accès à l’article : ici